Art : acquis, réflexions, action

Avant cette nuit extraordinaire, Joukhadar ne s’intéressait pas vraiment à l’art du XXe siècle. Il était familier et très sensible à l’art chinois, à l’art du Proche-orient et ses merveilles artisanales. Et de par son intérêt pour l’archéologie, il était sensible aux produits artistiques de l’Antiquité, ainsi qu’aux formes de l’art occidental.

Il pouvait ressentir une émotion aussi bien devant une peinture rupestre bouddhique, que devant un vase Lalique ou les portraits du Fayoum, tomber en extase devant un plat en mosaïque de verre phénicien ou une statuette inca, rêver devant un bas relief assyrien ou passer des heures à méditer sur la symbolique d’un monument gothique. A partir de ce tournant il a commencé à participer activement à l’art de son temps et cela avec une réflexion fondamentale : qu’était donc la mission de l’artiste, la justification et la valeur d’une œuvre d’art, comment participer intelligemment au corpus de l’art.

C’est ainsi et dès 1972, qu’il entame avec une soif insatiable du savoir un tour détaillé et passionné de la psychologie et de la philosophie, depuis les présocratiques jusqu’à Köhler et Alain. Parallèlement, il approfondit ses connaissances en matière d’histoire de l’Art, de telle sorte que très tôt il a à son actif un bagage culturel artistique mondial. Et quand plus tard il recevra entre autre les diplômes de la Sorbonne en histoire de l’art et en archéologie, sa maturité dans le domaine lui assurera une position d’expert dans des domaines aussi variés que la symbolique des motifs géométriques de l’art musulman, l’architecture Ayyubide ou la renaissance italienne.

Ses réflexions sur l’art lui permettent de se démarquer, dès 1971, en établissant les canons épurés et distincts de ‘symétrisme’, le premier style qu’il définit. Parallèlement, de 1972 à 1974, il réalise une première série d’œuvres maîtresses dans un style totalement différent : la série Guerre – Extraverti. Les maquettes sont des chefs d’œuvre de maîtrise de l’aquarelle, la plus rebelle et subtile des techniques.

C’est ainsi que commence une multiplicité déroutante, reflet de l’artiste le plus atypique qui soit. Pendant dix ans, Joukhadar crée ainsi plus de 600 œuvres intensément et simultanément dans plusieurs styles qui étonnent à la fois par leur maturité et leurs différences, au point que personne ne pourrait imaginer que ce virtuose de la couleur et de la peinture figurative soit le même auteur d’œuvres presque monochromes, abstraites et épurées à l’extrême.

En effet, de 1972 jusqu’à 1985, Joukhadar produit des œuvres d’un réalisme raffiné comme émanant d’une époque révolue, des bijoux de technique et de finesse dans l’art de l’encre, l’aquarelle et le pastel. Les trente-trois variations sur un thème et les Portraits symboles en sont des exemples.

Ces œuvres sont toutefois en marge de l’essentiel de sa production picturale qui dénote par une esthétique radicalement opposée. Fondées sur une approche hautement intellectuelle et philosophique, quasi gnostique, les styles Évolution d’un motif en 1977, la remarquable Ligne continue en 1978 et l’ésotérique motif Mim-Ha en 1979 sont un raccourci humaniste et initiatique de la lecture du monde.

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