Elsa von Brabant

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Le premier archétype du triptyque représente Elsa Von Brabant, une figure de la légende du Graal. Joukhadar a choisi le moment du premier regard entre Elsa et Lohengrin. Il a voulu montrer en particulier la pudeur, la retenue et la dignité dans la manifestation des sentiments. Aucune expression définissable ne vient troubler la beauté froide et éblouissante de ce visage germanique, mais bien une intériorité qu’un œil expert peut déceler. Il y à la fois méfiance, doute, admiration et tendresse.

Ne voir dans le tableau qu’un portrait psychologique et raffiné d’Elsa reviendrait à se priver de deux dimensions importantes de l’œuvre. Le regard d’Elsa est, en vérité, celui qui s’est inscrit dans la mémoire visuelle de Lohengrin et ne le quittera plus. En regardant Elsa nous empruntons l’âme et les yeux de Lohengrin, nous vivons sa vision. L’ultime dimension de ce portrait symbole n’est perçue que lorsque Elsa devient un miroir dans lequel nous voyons le reflet de Lohengrin. Elle n’est alors qu’une couverture subtile, laissant deviner le portrait de Lohengrin par le biais du regard d’Elsa.

Joukhadar a choisi Elsa est choisie pour montrer la femme, non pas dans sa dimension charnelle, mais dans son extrême noblesse et dignité. Elsa est une vraie aristocrate, comme il n’en n’existe pratiquement plus.

Un véritable aristocrate a le devoir de réunir en lui ce qu’il y a de mieux dans le peuple auquel il appartient ; il doit représenter l’idéal de sa culture. Il est conscient d’être le représentant de son peuple face à d’autres peuples. Il est le gardien des principes et des traditions. Loin d’être un Don Quichotte ringard qui cache sa petitesse derrière les apparences sclérosées des principes et des traditions, il vivifie et développe ces dernières avec son ouverture d’esprit et son intelligence d’avant-gardiste et de précurseur. Pour les siens il est le modèle, la référence de la qualité, de la classe et de l’excellence. Un vrai aristocrate sacrifie ses sentiments, sa vie personnelle pour la prospérité et l’honneur de son peuple et de sa patrie. Ce n’est pas le snob prétentieux qui s’affaire à se démarquer du peuple par le paraître, à coups de gadgets et d’artifices, comme cela est souvent le cas à notre époque.

Elsa et Lohengrin

A la mort de son père le duc, Elsa est accusée d’avoir fait disparaître son frère le prince héritier pour prendre le pouvoir. C’est en réalité la femme du comte, une sorcière, qui avait fait disparaître le prince, pour ouvrir la voie à son mari et ainsi mettre la main sur le pays et ses richesses.

Cette histoire, en apparence banale, est une allégorie à peine voilée d’une réalité politique perpétuelle. Elsa est publiquement accusée par le comte, devant le Roi alors de passage en Brabant. Ni accusateur ni accusée ne sont capables de présenter les preuves qui permettraient de trancher ; ils doivent donc s’affronter dans un duel à l’épée, après que des prières aient été adressées par l’assistance à Dieu pour que la victoire soit accordée à l’innocent.

Elsa, ne pouvant se battre en duel contre le farouche comte, offre sa main à celui qui se dévouerait pour la représenter et la sauver. Elle raconte à l’assistance avoir vu en rêve un chevalier revêtu d’une cuirasse étincelante venir à son secours. Les prières sont pieusement récitées et des appels sont lancés pour un volontaire, une fois et deux fois ; mais personne n’ose affronter le comte. C’est alors qu’apparaît un chevalier, portant une cuirasse étincelante, sur une barque tirée par un cygne (le cygne est un grand symbole alchimique).

Devant l’assistance émerveillée, il se porte volontaire et entre en duel avec le comte ; il gagne mais ne le tue pas. Le chevalier peut alors prétendre à la main de Elsa, mais pose une condition : elle ne devra jamais lui demander son nom, d’où il vient, et sa lignée. Or la femme du compte, qui n’a pas abandonné la partie, utilise ses sortilèges pour pousser Elsa, qui, cédant au doute, finit par poser au chevalier les trois questions fatales. Lohengrin répond, décline son identité, révèle ses origines de Montsalvat ainsi que sa quête du Graal et quitte à jamais Elsa.

L’œuvre-objet unique

Plus de 220 tentatives ont été faites pour numériser Elsa, elles ont toutes échoué. Plus de 220 clichés, sans jamais réussir à donner un rendu fidèle des couleurs extraordinaires utilisées par Joukhadar. Ni diapo, ni photo, ni image numérisée n’ont pu les reproduire.
Cette particularité fait partie de la réflexion artistique de Joukhadar.

L’idée est qu’avec la présence de la photographie, il devenait futile de reproduire la nature par la peinture. Ceci est devenu un dogme de la fin du 19e et surtout du 20e siècle. L’œuvre d’art est devenue centrée, limitée et bornée à l’originalité du concept et de l’idée, tout en négligeant la qualité du support. N’importe qui peut facilement reproduire des œuvres modernes faites à partir de ferraille, de moniteurs, n’importe qui peut facilement reproduire un Mondrian, un Warhol, un Liechtenstein.

Cela n’a aucune importance car toute la valeur de l’œuvre réside dans l’originalité du concept et de l’idée et cela lors de sa création. Joukhadar est parfaitement partisan de ce concept de l’art et de cette approche, comme le prouvent la majorité de ses œuvres qui s’inscrivent dans le courant de l’art moderne. Il a toutefois voulu libérer l’art d’une nouvelle tyrannie en restituant à l’œuvre d’art une de des ses qualités fondamentales, celle d’objet unique et par son concept intellectuel et par des qualités impossibles à reproduire.

Ce qui est le cas des couleurs de ce tableau qui changent tout au long de la journée et au gré des éclairages. Il en est de même pour l’expression du visage qui change selon la distance entre l’œil et l’œuvre et selon l’éclairage. Ce dernier point, concernant l’expression du visage, a été extraordinairement développé par Joukhadar dans le troisième archétype de ce triptyque, Roxelane.